Du domaine des Murmures - Carole Martinez (2011 - Prix Goncourt des Lycéens)

Publié le par hendiadyn

Du-domaine-des-Murmures.gif« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi. »


Au XIIème siècle, la jeune Esclarmonde se trouve forcée d’épouser Lothaire, un jeune homme ambitieux et vaniteux qui déflore les jeunes filles des bois et méprise son prochain. Horrifiée par ce destin conjugal sans amour ni dignité, Esclarmonde s’oppose violemment à cette union. Une fois devant le prêtre, elle refuse le mariage, se tranche l’oreille, versant du même geste le sang de son père (et reniant donc sa filiation) et fait vœu d’enfermement jusqu’à sa mort. Ainsi arrachée à son mari par le Christ, nul n’ose s’opposer à sa décision. Du domaine des Murmures est l’histoire de la jeune fille, enfermée à 17 ans dans une cellule de pierre

 

L’originalité de cet ouvrage se situe principalement dans son sujet et dans son histoire, qui ne cesse d’aller de surprises en bouleversement. Le mariage, l’oreille tranchée, le viol d’Esclarmonde, sa métamorphose successive en martyre, sa grossesse emprisonnée, et surtout sa vision d’un monde paradoxalement plus large depuis sa fenêtre munie de barreaux font du Domaine des Murmures une enclave assez particulière dans le monde littéraire.

 

L’attachement provient, pour ma part, des personnages secondaires qui sont parfois mieux dessinés que la jeune martyre : Lothaire et Bérangère ont ma préférence. L’homme vaniteux devient peu à peu un chevalier courtois : son désespoir et le ridicule de sa condition (son ironie également) donne un éclat particulier au récit. Il n’apparaît que très peu, mais l’on regrette que son rôle n’ait pas été plus important, même en fin de récit. Bérangère, la future Fée verte, est étrangement plus envoûtante que Douce (la deuxième femme du Seigneur des Murmures) ou qu’Esclarmonde elle-même. Bérangère aurait pu être un cliché de nourrice ou de servante bien en chair qui affole les hommes et bouscule le récit de son rire trop puissant, mais il n’en est rien. Son dévouement et sa fragilité en font un personnage plus dense qu’il n’y paraît.

 

La lassitude – car elle existe- réside dans les pages à tonalité presque mystique qui montrent la mort progressive du père coupable d’Esclarmonde, envoyé en croisade. Sa fille, de sa cellule, vit son voyage à travers son regard, et l’observe sombrer dans la folie et dans l’obscurité. Ces pages ne sont pas parvenues à m’emporter assez loin, dans le sable de l’Orient et aux confins du monde chrétien. A la limite du mysticisme / fantastique, ces pages semblaient un peu trop hors du temps, et éloignées de la cellule, le cœur de l’histoire.

 

Il n’en reste pas moins que l’écriture de Carole Martinez, sans avoir d’élan particulier, est fluide et très rapide à lire. Sans aucun doute, il dérobe l’attention et emporte le lecteur : il est difficile de ne pas tourner les pages malgré les quelques moments de doute qui surviennent. L’atmosphère légendaire qui y flotte (les fantômes de chevaux dans le lac, la jeune femme emmurée vivante pour sceller la fondation du domaine, rappelant l’une des Nouvelles Orientales de Yourcenar) rend le récit parfois inquiétant, et l’on frôle, malgré soi, l’envoûtement.

 

Je garderai en ma mémoire le souvenir d’un petit ouvrage dans un écrin de pierre, perle étrange dans un monde reculé.

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